Pathways : Adapter les programmes d’études aux réalités du Yukon
Flora Asp a quitté la Première Nation d’Eabametoong, dans le Nord de l’Ontario, pour s’installer au Yukon il y a 26 ans.
Pendant des années, elle a enseigné à des élèves de la maternelle à la 12e année en milieu rural au Yukon. Flora explique que sa passion pour l’enseignement et l’éducation lui vient de sa mère, qui a enseigné l’ojibwé dans le Nord de l’Ontario durant maintes années.
Tammy Stoneman vient de la Première Nation des Cris de Nisichawayasihk, dans le Nord du Manitoba. Elle vit au Yukon depuis 15 ans.
Flora et Tammy sont conseillères en programmes d’études des Premières Nations. Leur travail consiste notamment à coordonner les projets de programmes d’études de la maternelle à la 12e année, à collaborer avec les Premières Nations à l’élaboration des programmes et ressources, à apprendre au personnel enseignant et administratif les manières de savoir, de faire et d’être des Premières Nations, et à expliquer au nouveau personnel enseignant l’importance du travail avec les Premières Nations locales pour inclure leurs perspectives en classe.
Tammy affirme que le système d’éducation est actuellement en transformation, ce qui profitera aux élèves des Premières Nations.
Elle explique que le rapport de la Commission de vérité et réconciliation a motivé les ministères de l’Éducation de partout au pays à changer leurs priorités, et ajoute que ces dernières comprennent l’adaptation des programmes d’études pour y inclure les manières de savoir, de faire et d’être des Premières Nations.
L’approche en éducation pour les élèves des Premières Nations doit être globale, inclusive et centrée sur l’apprenante et apprenant.Tammy Stoneman
Une approche locale
En réponse à la marginalisation passée et contemporaine subie par les élèves des Premières Nations, l’éducation adapte ses programmes d’études aux réalités locales.
Les programmes et ressources reposant sur les traditions et connaissances locales peuvent stimuler l’épanouissement des élèves et l’apprentissage continu des enseignantes et enseignants. L’adaptation aux réalités locales permet d’explorer le savoir et les perspectives des Premières Nations en classe et dans les écoles.
Tammy croit que l’intégration des manières de savoir, de faire et d’être des Premières Nations est porteuse de changement positif et rend les écoles meilleures.
« Les écoles qui respectent les langues et cultures de leurs élèves et les intègrent à leurs programmes obtiennent de meilleurs résultats que celles qui ne le font pas ».
Par leur travail, Flora et Tammy ajoutent une importante perspective autochtone et locale à l’éducation.
« Chaque collectivité a ses propres valeurs concernant sa relation à son territoire, à l’eau et aux enseignements. Nous adaptons les programmes à chaque région », explique Flora.
Lorsqu’elle prépare un programme, elle garde deux choses en tête : l’endroit où il sera enseigné, et la façon de collaborer avec la communauté.
« Lorsqu’on élabore des ressources, il est important de travailler avec les Aînées et Aînés, les gardiennes et gardiens du savoir et les enseignantes et enseignants locaux, affirme Flora. Je m’inspire de ce que j’entends, car ces personnes connaissent le territoire et ses valeurs et traditions culturelles. »
Le personnel enseignant et les autres éducatrices et éducateurs participent aussi à tout le processus d’élaboration des programmes d’études.
Tammy explique que « les Aînées et Aînés répètent sans cesse que tout le monde doit prendre part au processus dès le départ ».
Adapter les programmes d’études aux réalités locales
Un groupe de travail chargé des programmes d’études a été créé par le gouvernement du Yukon. Son mandat consiste à participer à l’élaboration et à l’évaluation du matériel et des ressources destinés aux enseignantes et enseignants du territoire.
Le groupe se compose d’Aînées et Aînés et de gardiennes et gardiens du savoir des huit groupes linguistiques des Premières Nations du Yukon.
Quand Flora et Tammy ont un point de départ pour un programme, elles rencontrent des membres du groupe de travail pour écouter leurs récits et leurs expériences sur le sujet.
Pour Flora, son travail, c’est écouter.
« On écoute et on prend des notes. Il n’y a pas de limite; la discussion se termine quand tous les récits ont été entendus. »
Ensuite, Flora et Tammy commencent l’ébauche du programme.
Lorsque cette dernière est prête, elles invitent les personnes enseignant la matière dans la localité à se joindre au groupe de travail.
Ensemble, les membres du groupe vérifient que le programme est adapté aux réalités locales et que les enseignantes et enseignants comprennent la matière, surtout si ces personnes ne sont pas du coin.
« Quand on ne vient pas du Yukon, il faut accepter d’apprendre l’importance du lieu pour y enseigner », souligne Flora.
Pour assurer la réussite, dit-elle, le groupe de travail participe à chaque étape.
Bien faire les choses
L’adaptation des programmes aux réalités locales se fait toujours en concertation avec les Aînées et Aînés et les gardiennes et gardiens du savoir ainsi qu’avec les enseignantes et enseignants et les Premières Nations.
Tammy affirme qu’il est essentiel que les partenaires collaborent et qu’il faut « bien faire les choses ».
« “Bien faire les choses" est une expression utilisée par beaucoup de Premières Nations et qui veut dire que le travail honore les traditions et l’esprit. D’un point de vue autochtone, un travail bien fait est un acte sacré qui fait ressortir les liens entre les mondes physiques et spirituels. »
Cette approche englobe traditions, pratiques et protocoles. Les enseignements axés sur la sagesse, l’amour, le respect, la bravoure, l’honnêteté, l’humilité et la vérité sont des éléments importants de ce travail.
Tammy avoue que ce travail ne serait pas possible sans l’aide des partenaires.
Renforcer les relations avec les Premières Nations
Bon nombre de personnes ont du mal à comprendre comment l’histoire des peuples autochtones et la colonisation continuent à influer sur la réalité du Canada d’aujourd’hui.
« Les figures dirigeantes et le personnel enseignant doivent réfléchir à leur propre position privilégiée et tâcher de nouer de meilleures relations avec les Premières Nations », affirme Tammy.
Trine Dennis est directrice de l’École élémentaire de Hidden Valley, à Whitehorse. Elle enseigne au Yukon depuis bientôt 10 ans.
Trine explique que ses relations avec les collectivités des Premières Nations du Yukon ont orienté son travail en classe.
« Ce sont les enseignements des Aînées et Aînés et des gardiennes et gardiens du savoir que j’ai rencontré à travers les années qui m’ont le plus influencé. Sans ces relations, je n’aurais peut-être pas eu la confiance d’élaborer un programme adapté à partir des manières de savoir, de faire et d’être des Premières Nations. »
Il est essentiel de décoloniser le système d’éducation pour aider les élèves des Premières Nations à réussir.
Sans cela, Tammy croit que le système continuera d’abandonner les élèves autochtones.
« La réalité d’aujourd’hui, c’est que l’éducation et les programmes sont à l’image de la culture dominante. La collaboration avec les Premières Nations est nécessaire pour créer du mentorat et des formations, et pour bâtir un système d’éducation inclusif et adapté à la culture. »
Les grands changements à la structure du système prendront du temps.
En attendant, Flora et Tammy continuent de collaborer avec les Aînées et Aînés, les gardiennes et gardiens du savoir et les enseignantes et enseignants locaux.
Leur collaboration permet d’adapter les programmes afin d’y inclure plus de perspectives des Premières Nations et d’aider les élèves à mieux comprendre l’histoire et la culture complexes du Canada.
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