Pathways : Instaurer des programmes dirigés par les Autochtones dans le système de justice

Joanne Green est modeste. En tant que gestionnaire du Centre de mieux-être de Justice Yukon, elle veille au bon déroulement des opérations, embauche le personnel et laisse les spécialistes faire leur travail.

Dans les faits, Joanne a donné à son équipe les moyens de repenser le mieux-être et la justice dans le territoire.

Programmes communautaires

Dans les quatre dernières années, Kelly Allen a travaillé comme conseillère clinicienne au Centre de mieux-être de Justice Yukon. Depuis deux ans, elle collabore avec le conseiller Joe Migwans et avec Dianne Smith, Aînée de la Première Nation des Kwanlin Dün, pour instaurer des programmes de mieux-être culturel dans les collectivités du territoire.

Kelly affirme que l’approche de l’équipe va au-delà du modèle biopsychosocial-spirituel initial.

« Nous employons une perspective autochtone globale pour nous aider à nous défaire des préjugés occidentaux et à intégrer la sagesse des Aînées et Aînés, ce qui engendre des méthodes de guérison autochtones naturelles. »

Kelly attribue le succès du programme à l’adoption d’une perspective autochtone dans le travail auprès des collectivités.

Joe et Dianne animent des ateliers culturels et offrent du counseling spirituel et culturel à leur clientèle. Kelly, elle, offre du counseling thérapeutique et du soutien aux programmes. Joe affirme que pour les Premières Nations, la guérison repose avant tout sur la culture.

« En cette période de grands changements où notre culture se dissipe rapidement, nous devons mieux comprendre nos valeurs et les croyances associées à l’éducation, à la parentalité, aux cérémonies, au pardon –, vivre en communion et en harmonie, tout simplement. »

Kelly Allen, Elder Dianne Smith and Joe Migwans stand in front of the water.

Kelly Allen

Un système brisé

Pour Kelly, il faut absolument commencer à décoloniser le système de justice.

« C’est crucial. J’en sais quelque chose; j’en ai fait partie pendant pluisieurs années et je suis consciente d’avoir contribué au problème par le passé. »

Kelly a vécu à Watson Lake pendant plus de 15 ans. Elle affirme que vivre dans une collectivité majoritairement composée de membres d’une Première Nation a façonné sa pratique et changé sa vision du monde, mais elle admet avoir fait partie du problème.

Elle explique qu’en tant que conseillère blanche formée dans un contexte occidental, elle a été conditionnée à concevoir le monde d’une certaine manière.

« Pas seulement à l’école et dans mon éducation postsecondaire, mais aussi à travers les politiques et pratiques gouvernementales et en raison d’un comportement teinté par le colonialisme, parce que c’est ce que nous sommes. »

Kelly n’a ménagé aucun effort pour décoloniser son travail et reconnaît que c’est un processus continu.

« Je m’assure, d’un point de vue clinique, de décoloniser ma pratique et d’adopter une perspective autochtone en faisant preuve d’humilité culturelle et en consultant continuellement mes partenaires communautaires, comme Joe et Dianne, deux professionnels de la culture et de la justice Dene Keh. »

Tout ce que fait l’équipe vise à stimuler la vitalité culturelle pour favoriser la guérison.
Kelly Allen

Renouer avec la culture

Joe croit que la culture des Premières Nations est tout aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’a toujours été.

« Nous devons engendrer le mieux-être par nos valeurs et nos croyances. Nous devons nous rapprocher grâce à nos véritables valeurs culturelles et au retour au cercle. »

Joe explique que le cercle apporte égalité, guérison et inclusion au mieux-être et procure un équilibre dans la vie des gens.

Il souligne que cette approche n’est pas nouvelle.

« Ces pratiques ont été oubliées pendant longtemps à cause des pensionnats et du colonialisme. Nous les réintroduisons grâce au cercle. »

Kelly considère que l’approche axée sur la culture fonctionne. Elle cite le programme de justice Dena Keh de la Première Nation de Liard (À notre façon), exemple fructueux de décolonisation de la justice et de soutien de la collectivité et du mieux-être culturel en général. Le programme communautaire de justice alternative adopte une approche globale pour rétablir l’harmonie dans la collectivité à la manière de la Première Nation.

Kelly et Joe ont travaillé avec des Aînées et Aînés kaskas pour comprendre comment la culture, les valeurs et les croyances peuvent être intégrées au système et aux programmes de justice.

Créer de véritables partenariats

Dans les dernières années, le gouvernement a commencé à parler de partenariats avec les Premières Nations plutôt que de consultations.

Kelly mentionne que c’est un changement important, mais rappelle qu’il faut bien faire les choses.

« Un partenariat, c’est travailler sur un pied d’égalité. Mais pour vraiment collaborer, il faut comprendre le déséquilibre du pouvoir historique entre le gouvernement et les Premières Nations. »

Kelly assure avoir fait ses recherches; les spécialistes affirment depuis des décennies que la perspective autochtone devrait primer.

« Si nos partenaires sont des communautés autochtones, nous devons d’abord et avant tout nous préoccuper de leurs cultures, valeurs, croyances et manières de vivre. Si nous voulons accélérer, voire faciliter, la guérison d’une manière ou d’une autre, l’approche doit être dirigée par des Autochtones –, voilà un véritable partenariat dans une perspective non coloniale. »

Kelly rappelle que le Yukon a de la chance d’avoir le Centre de mieux-être de Justice Yukon et de pouvoir compter sur un leadership fort qui comprend vraiment ce type de partenariats.

Joanne souligne que le Centre n’aurait pas le même succès sans la confiance de Mark Daniels, ancien directeur des Services judiciaires. Elle affirme que celui-ci a permis à son équipe de faire les choses différemment.

En ce qui concerne l’avenir du Centre, elle espère instaurer des programmes de justice alternative dirigés par la communauté à l’image de celui de Dena Keh ainsi que contribuer à de tels programmes.

« En regardant la croissance de l’autosuffisance qui s’opère à Watson Lake après deux ans, je pense qu’il serait possible de reproduire la même chose ailleurs avec la même énergie et les mêmes ressources. J’adorerais voir les Premières Nations diriger des interventions judiciaires dans leur communauté. »

L’équipe de Joanne a rencontré des Premières Nations et des collectivités pour discuter de l’élaboration de programmes de justice alternative.

Elle a bon espoir de recevoir bientôt des demandes d’aide, mais les collectivités doivent d’abord prendre le temps de définir leur propre initiative de justice menée par la collectivité.

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